Les rénovations énergétiques sont-elles rentables?
La Suisse est confrontée au chantier gigantesque de moderniser son parc immobilier. La question de la rentabilité des rénovations est cruciale pour accélérer le rythme des transformations. Explications
Alexandre Beuchat – Publié le 02. novembre 2023
Le défi est colossal. Le parc immobilier suisse doit atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Si les progrès sont déjà sensibles dans les nouvelles constructions, où les chauffages fossiles sont devenus l’exception, la situation dans les anciens bâtiments est très différente. Les acteurs de la branche le reconnaissent: il y a urgence à accélérer la cadence. Les rénovations énergétiques n’interviennent que tardivement et les programmes de subventions étatiques et d’incitations financières ne suffisent pas à résoudre le problème.
Le parc immobilier représente à lui seul 26% des émissions de gaz à effet de serre en Suisse. Le secteur se retrouve donc en première ligne et les propriétaires n’ont d’autre choix que d’agir. «Nous sommes face au défi de rénovation le plus important que nous avons jamais connu, souligne Yves Cachemaille, expert en estimations immobilières auprès de la société CBRE. Auparavant, les rénovations énergétiques étaient effectuées à bien plaire. Désormais, elles sont obligatoires».
Des retours sur investissement variables
Les deux tiers des logements locatifs sont encore chauffés aux énergies fossiles. Leur remise à jour est donc indispensable à la transition énergétique. Quel est l’impact de ces travaux sur les rendements d’un bien immobilier? La question de la rentabilité s’avère essentielle: lorsque les propriétaires ont un intérêt financier à rénover leurs bâtiments, les forces du marché entrent en jeu et favorisent les assainissements.
Mais la profitabilité des rénovations est sujette à caution. Dans la dernière édition de l’Immo-Monitoring, le cabinet de conseil Wüest Partner tente d’y répondre en passant au crible quatre cas très distincts d’immeubles locatifs. Les résultats varient beaucoup selon l’ampleur des travaux (isolation, chauffage, panneaux photovoltaïques), le type de logements et le lieu. «Si l’effet des rénovations énergétiques est toujours positif pour l’environnement, les retours sur investissement varient sensiblement», résume Vincent Clapasson, directeur romand de Wüest Partner.
Quel impact pour les locataires?
Dans l’idéal, les propriétaires, mais également les locataires, profitent des rénovations. Celles-ci entraînent généralement une baisse des frais accessoires. Il faut toutefois attendre le calcul du nouveau loyer brut pour savoir si cela profite aussi financièrement aux locataires. Si les rénovations sont efficaces, le résultat peut également être positif pour eux, écrit Wüest Partner.
«Il est impossible de tirer des généralités sur la rentabilité des rénovations énergétiques, observe Yves Cachemaille, qui a examiné la situation à Genève. Chaque cas est différent. Il est indispensable de procéder à une analyse approfondie pour chaque immeuble. La profitabilité va dépendre notamment de la réserve locative, soit de la capacité à générer des revenus locatifs plus élevés après les travaux à plus-value», fait-il remarquer.
A Genève, la LDTR (loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation) agace depuis longtemps les milieux immobiliers. En imposant le blocage des loyers pendant une période donnée, la loi impose une certaine rigidité qu’ils considèrent comme un frein à la modernisation du parc de logements.
Le casse-tête de l’évaluation
De nouveaux outils de calcul et d’analyse s’avèrent nécessaires pour prendre en compte la durabilité dans l’évaluation financière d’un bien. «Par le passé, le marché ne tenait pas compte de la rénovation énergétique dans la valorisation des immeubles, rappelle Boris Clivaz, directeur de Gefiswiss, gérant d’actifs spécialisé dans les investissements en immobilier durable. Les modèles d’estimation doivent évoluer, conformément au changement du cadre réglementaire, mais il n’y a pas de consensus en la matière. Nous en sommes encore aux balbutiements.»
Concrètement, on constate sur le marché qu’il y a une différence de valeur entre les immeubles durables et ceux qui sont énergivores, mais il manque encore de données suffisantes pour déterminer avec précision la valeur verte. «Les dix prochaines années vont être compliquées tant en termes d’évaluations d’immeubles que de mise en œuvre pratique», prévoit le directeur de Gefiswiss.
Besoin de bras
D’une manière générale, l’objectif zéro émission en 2050 semble très difficile à atteindre dans les conditions actuelles. Le taux annuel de rénovation dans le bâti en Suisse est actuellement inférieur à 1%. Pour parvenir aux objectifs fixés par la Confédération, il faudrait qu’il passe à 2,5% d’ici à 2030. Pour dépasser les blocages et accélérer la transformation du parc immobilier, Boris Clivaz plaide pour la création d’une loi-cadre sur la transition énergétique qui fixerait précisément les règles du jeu.
«L’urgence climatique représente à la fois le plus grand défi et la plus grande opportunité du marché immobilier», affirme Vincent Clapasson, qui pointe le besoin énorme en main-d’œuvre et en ressources. «Tout un écosystème doit être créé». Attendre expose à davantage de risques, estime l’expert. «Les cantons commencent à édicter des lignes directrices précises. Les propriétaires ont encore le choix du calendrier. Ceux qui ne font rien seront confrontés dans cinq ans à des contraintes supplémentaires».