“Les impulsions viendront du privé, et pas forcément des politiques” – Nicole Surchat Administratrice de GEFISWISS

21 Oct, 2022

Nicole Surchat, administratrice de GEFISWISS « L’immobilier est loin du contexte des années 80 et des taux à plus de 8% »

Après de longues années dans un contexte particulier qui ont mené à des prix des plus élevés, l’immobilier se retrouve face à de nouveaux défis de taille. D’une part, les politiques monétaires des banques centrales face à l’inflation qui font évoluer brusquement les taux de référence. D’autre part, les objectifs climatiques et la vague de la finance durable où le secteur de la pierre a un rôle déterminant à jouer. L’Agefi a échangée avec Nicole Surchat pour dresser un état des lieux en Suisse. Cette experte du domaine est notamment administratrice de GEFISWISS, gérant d’actifs lausannois qui se consacre à l’immobilier durable avec un parc représentant un milliard d’investissement, parmi d’autres mandats. Architecte et urbaniste de formation, elle a été cheffe de service du développement territorial du canton de Vaud ainsi que directrice de l’office de l’urbanisme du canton de Genève, mais aussi architecte de la ville de Fribourg. Entretien.

Le marché immobilier se trouve sous tension, notamment en raison des prix élevés, et les hausses de taux d’intérêt complexifient encore la situation. Comment les investisseurs s’y adaptent en Suisse ?

Il est important de rappeler que la pandémie de Covid-19 a provoqué d’importants ralentissements sur le marché immobilier, tout ne s’est pas arrêté mais de nombreux projets étaient en retard. La reprise amorcée en 2022 s’est ensuite heurtée à la remontée des taux d’intérêt. C’est toutefois un défi qui concerne particulièrement les investisseurs privés étant donné que les institutionnels ont d’importants fonds propres à disposition et que des systèmes de taux fixes sont souvent utilisés. Ils sont globalement moins affectés par le contexte actuel. Sans compter que la pierre reste une valeur sûre aux yeux des investisseurs en Suisse. Si je prends l’exemple de GEFISWISS, où la majorité des investisseurs sont des caisses de pension, nous recevons toujours des réponses très favorables pour nos projets à venir. Malgré le tour de vis des banques centrales, nous sommes loin du contexte des années 80 avec des taux à plus de 8%. Il faut aussi dire que l’ère des taux négatifs a amené une concurrence d’opérateurs extrêmement agressifs pour placer leur argent. Pour des sociétés de taille plus modeste comme GEFISWISS, il n’est pas possible de s’aligner à ces niveaux spéculatifs. La tendance actuelle devrait aider à assainir le marché en réduisant le nombre de ces transactions, en particulier sur l’Arc lémanique où on a pu observer des offres disproportionnées. Si l’on revient à la comparaison avec les années 80, une autre différence majeure est que les projets immobiliers sont davantage exploités et moins revendus directement.

La crise énergétique qui frappe l’Europe a accéléré la prise de conscience des avantages que peut représenter un logement avec une réflexion durable. Le marché va-t-il accélérer la transition de lui-même ou une impulsion politique est-elle nécessaire ?

Les préoccupations autour de l’énergie s’enflamment et cela devient effectivement un critère de choix pour l’immobilier. Au-delà de la démarche environnementale en cours, le coût de l’énergie est devenu une réalité ce qui va accélérer la transition. Il est toutefois important de rappeler que certains acteurs sont déjà impliqués depuis des années. GEFISWISS en a fait son modèle d’affaires depuis le début. Les impulsions ne vont en effet pas forcément venir du politique, mais bien des privés. De nombreux concept sont en train d’être mis en place comme de la récupération de l’air chaud des parkings et des souffleries de centres commerciaux, ou encore un système qui fait circuler de l’eau pour récupérer la chaleur des sols en montagne. Ce type d’infrastructures ne représentent pas un surcoût conséquent comparées à leurs conséquences positives. Parmi les exemples d’initiatives privées qui fonctionnent, GEFISWISS a lancé un fonds énergétique qui a investi à de nombreuses reprises dans des lieux en périphérie où les pouvoirs publics n’auraient pas construit.

Les objectifs climatiques pour la décennie à venir, puis pour 2040 et 2050, demandent des investissements massifs. L’évolution du parc immobilier, qui implique une certaine inertie, est-elle suffisamment rapide pour y contribuer ? Sur les nouvelles constructions, il est possible de se rapprocher petit à petit des objectifs de lutte contre le réchauffement de la planète. Le parc immobilier existant représente cependant un véritable enjeu. Il est prioritaire de pouvoir transformer, rénover et surélever dans les régions à forte densité mais il peut être difficile de répercuter le coût de ces investissements sur les loyers. C’est en particulier le cas à Genève, où le bâti y est le moins bien entretenu en Suisse sans compter qu’il y a très peu de marge de manœuvre dans la construction notamment pour y intégrer les dernières innovations. Les économies d’énergie doivent alors y être le premier réflexe.

Ne pas pouvoir répercuter le coût des investissements peut effectivement freiner les rénovations, mais les risques financiers à long terme ne représentent-ils pas une motivation ? Que ce soit par d’éventuelles taxes à l’avenir ou des conséquences comme le prix de l’énergie.

Il va effectivement y avoir un électrochoc pour de nombreux acteurs du marché immobilier. Les constructions qui n’ont pas été pensées de manière durable seront déjà pénalisées au printemps prochain avec la crise énergétique. Des bonnes pratiques environnementales représentent aussi un argument pour encourager les locataires à rester à long terme. Un aspect qui a dimension financière car on sait que ce sont les déménagements qui endommagent le plus les appartements sans compter la perte de revenus locatifs.

Comment peut-on accélérer cette transition énergétique ?

Les échanges doivent être renforcés entre les pouvoirs publics et les investisseurs. Pour cela, les autorités doivent intégrer le plus tôt possible le secteur privé dans les processus. Un dialogue lorsque le permis de construire est déjà fait ne sert à rien. En bout de chaine, nous recevons encore des plans de quartier dont la conception a commencé il y a 15 ans avec extrêmement peu de marge de manœuvre pour réagir à des situations comme la crise énergétique. Une réflexion énergétique à large échelle n’y figure pas encore, de même pour la mobilité où de trop nombreuses places de parking sont encore la norme. Il faut davantage de réactivité pour ces plans de quartier mais les cantons ne veulent pas les adapter. Il faut toutefois relever que les communes sont à l’écoute pour des évolutions. Il faut faire confiance aux les acteurs privés qui gardent leurs bâtiments, ils ont en effet tout intérêt à en prendre soin.

Des étapes importantes se profilent-elles à l’horizon pour GEFISWISS ?

Un autre type de transition est en cours, avec une jeune équipe qui est en train de prendre la relève. C’est aussi une dimension de la durabilité. Pour le reste, le fait d’avoir pris de l’avance sur ce type d’investissement permet d’avoir toujours plus d’investisseurs qui se tournent tout de suite vers nous. Nous ne voulons toutefois pas grandir trop vite, la priorité reste toutefois de maintenir la qualité et un contrôle sur tout le processus. Les prochaines étapes sont notamment un projet à Monthey (VS) avec près de 150 appartements ainsi qu’un autre proche de la HEIG à Yverdon (VD). Le parc actuel de GEFISWISS est constitué de 1500 logements soit environ un milliard de francs d’investissement.

Propos recueillis par Johan Friedli